Il m’arrive parfois de ressentir un paradoxe difficile à vivre : d’un côté, j’enseigne la paix, l’équilibre, la respiration consciente… et de l’autre, mon quotidien ressemble parfois à une course remplie de stress, d’urgences et de doutes.
Je sais que je ne suis pas la seule. Il y a quelques jours, je discutais de ce sujet avec une amie prof. Elle partageait avec moi ce sentiment d’incohérence entre le message que nous transmettons à nos élèves et la réalité de notre propre vie. Ce n'est pas un échec, c'est un défi partagé par presque tous ceux qui enseignent. Je crois que beaucoup d'entre nous ressentons ce sentiment d’incohérence entre ce que nous cherchons à communiquer et notre quotidien stressé.
Alors aujourd’hui, j’aimerais ouvrir ce sujet avec sincérité, pour que nous puissions toutes et tous nous y reconnaître et, surtout, trouver des chemins pour avancer.
L'idéal versus le réel : d'où vient ce sentiment ?
Le yoga véhicule une image idéalisée, presque mythique : sérénité constante, posture parfaite, vie alignée et détachée des soucis matériels. Les réseaux sociaux, les magazines, et même parfois nos propres formations, nourrissent cette image du "yogi toujours paisible". Mais la réalité, lorsqu’on est professeur, est bien différente et bien plus terre-à-terre.
Il y a les cours à préparer et à donner, les déplacements, la communication sur les réseaux sociaux, les inscriptions et les paiements à gérer. Sans parler des préoccupations personnelles, familiales ou financières. Nous sommes à la fois coach, entrepreneur, marketeur, comptable et secrétaire. Tout cela crée un décalage profond entre l’image que nous renvoyons — celle d’un être toujours centré — et le ressenti intérieur qui peut parfois être un tourbillon d'obligations et de préoccupations.
Les causes profondes du stress : creusons le sujet

Dans mon expérience, plusieurs facteurs nourrissent ce sentiment. Les nommer, c'est déjà commencer à les désamorcer.
- La pression financière : des revenus irréguliers, des cours pas toujours remplis, la peur de ne pas y arriver. Concrètement : Cette précarité peut nous pousser à accepter trop d'heures, à multiplier les déplacements, créant ainsi l'épuisement que nous cherchons justement à combattre.
- La charge de gestion invisible : inscriptions, annulations de dernière minute, relances de paiements, gestion du planning… Ces micro-tâches chronophages fractionnent notre concentration et pompent une énergie mentale considérable, nous éloignant de notre passion première : enseigner.
- Le manque de temps personnel (ou le syndrome de la tasse vide) : quand on passe son énergie à donner aux autres, à être pleinement présent pour ses élèves, il reste peu de place pour nourrir sa propre pratique. Notre sadhana (pratique personnelle) est la première à en pâtir, créant un cercle vicieux : moins je pratique, moins je suis ancré.e ; moins je suis ancré.e, plus le stress me submerge.
- Le doute et le syndrome de l’imposteur : cette petite voix qui nous souffle qu’on n’est pas assez formé·e, pas assez légitime, qu'un "vrai" professeur ne vivrait pas ça. Ce sentiment est renforcé par la comparaison.
- La comparaison permanente : sur Instagram, tout semble plus beau, plus fluide, plus simple chez les autres professeurs. On oublie que nous voyons seulement ce qu'ils décident de mettre en avant, pas les coulisses : les doutes, les échecs, les cours annulés par manque d'inscrits.
Les conséquences quand l’incohérence s’installe
Ce paradoxe n’est pas anodin. Il est bien plus qu'un simple inconfort ; il peut générer :
- Une grande fatigue émotionnelle et un vrai découragement.
- Un sentiment de solitude ("Suis-je le/la seul.e à vivre ça ?").
- Un épuisement professionnel (burn-out) où l'on en vient même à se demander si l’on est à la bonne place : “Comment puis-je enseigner l’équilibre si je ne parviens pas à le vivre moi-même ?”
Ce doute peut miner la confiance, éteindre peu à peu la flamme qui nous a poussés à enseigner, et même donner envie de tout arrêter. Il est crucial de reconnaître ces signes avant-coureurs.
Réconcilier le message et le quotidien : des pistes concrètes
Heureusement, il existe des façons d’apprivoiser ce sentiment d’incohérence. Voici des stratégies que j'ai testées et qui font leurs preuves :
- Accepter l’imperfection et l'humanité : être professeur ne veut pas dire être un super-héros du zen. Nous restons des êtres humains. Et si nous enseignions précisément cela ? La capacité à traverser les tempêtes en utilisant nos outils, plutôt que d'éviter les tempêtes.
- Ramener le yoga dans les micro-moments : Il ne s'agit pas de trouver 2h pour une pratique complète, mais de cultiver la présence dans l'instant.
- 3 respirations conscientes avant de passer au prochain cours.
- Une marche consciente jusqu'à sa voiture en sentant le sol sous ses pieds.
- Une minute de silence les mains sur le volant avant de démarrer.
- Pratiquer le Santosha (le contentement) en savourant vraiment une gorgée de thé entre deux emails.
- Alléger son organisation avec des outils : externalisez mentalement ! Utilisez des outils simples pour libérer votre esprit.
- s’équiper d’outils simples pour mieux gérer ses élèves, ses plannings, ses finances.
- Un calendrier bien organisé avec des plages bloques pour votre pratique, votre administration et... votre repos.
- Des modèles d'emails pré-rédigés pour les relances ou les confirmations.
- Clarifier ses priorités et protéger son énergie : apprenez à dire "non". Choisir moins, mais mieux. Éviter de s’éparpiller. Qu'est-ce qui est essentiel pour vous ? Enseigner avec cœur ? Avoir du temps pour vous ? Identifiez-le et organisez-vous autour.
- Créer du lien et briser l'isolement : partager avec d’autres professeurs est salvateur. Créez ou rejoignez un groupe de discussion (WhatsApp, Telegram) où vous pouvez échanger en toute honnêteté sur vos réalités, sans filtre. Vous verrez que vous n'êtes pas seul·e, et cette prise de conscience est incroyablement libératrice.

Retrouver confiance et sens : votre vulnérabilité est votre force
Au fil du temps, j’ai compris que cette incohérence apparente peut devenir une force. Les élèves ne cherchent pas un modèle parfait : ils cherchent une personne authentique, qui vit elle aussi des hauts et des bas.
Partager nos propres difficultés, avec mesure et sincérité, crée un lien plus profond et plus vrai. Cela inspire nos élèves non pas parce que nous incarnons une vie sans stress, mais parce que nous leur montrons qu’il est possible de revenir à l’équilibre, encore et encore. Nous enseignons la résilience, pas la perfection. Nous sommes comme un phare qui guide, non pas parce que la mer est toujours calme, mais précisément parce qu'il brille au milieu de la tempête.
En conclusion : vous êtes exactement là où vous devez être
Le yoga n’est pas un état permanent de sérénité. C’est un chemin, avec ses moments de grâce et ses zones de turbulence. Le professeur de yoga n'est pas un être arrivé, mais un voyageur qui connaît un peu mieux le chemin.
Ressentir du stress ou des contradictions ne nous rend pas moins légitimes. Au contraire, cela nous rapproche de nos élèves, car nous vivons les mêmes réalités humaines qu’eux.
Alors si tu ressens parfois ce décalage, rappelle-toi : tu n’es pas seul·e. Et peut-être que ton authenticité, tes doutes surmontés et ta bienveillance envers toi-même, bien plus que ta perfection, sont ce qui inspirera le plus tes élèves et fera toute la différence dans leur pratique.
Et toi, chère professeure, cher professeur, as-tu déjà ressenti ce décalage ?
Comment fais-tu pour naviguer entre ton message et ton quotidien ?
Cet espace est là pour nous permettre de partager nos expériences, nos astuces et de nous soutenir mutuellement. Laisse un commentaire pour nous raconter ton histoire – tes difficultés, tes prises de conscience, une petite routine qui t'aide à retrouver le centre. C'est en partageant nos vérités que nous construisons une communauté plus forte et plus authentique.
Tu n'es pas seul.e sur ce chemin.
Quelques ressources pour aller plus loin :
- Livre (en anglais) : "The Yogi Entrepreneur" de Darren Main, "The Art and Business of Teaching Yoga: The Yoga Professional’s Guide to a Fulfilling Career" de Amy Ippoliti et Taro Smith.
- Podcast : "Les Alchimistes", "Yoga Teacher Resource" (en anglais)


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